Oscar Massé, Mena’sen dans Mena’sen, Le rocher au Pin solitaire. 1922
Au confluent de l’Alsiganteka et de la Potegourka (la rivière
aux cascades)[1], à l’endroit appelé Cktiné, abbréviation de
Cktinékétolék8âk (la plus grande fourche)[2], se trouve, au milieu
des eaux, un islet rocheux ou plutôt un rocher dont le sommet
émerge de l’eau.
C’est Mena’sen ou l’isle-rocher !
La mythologie indienne attribue à pareil accident géographique ou, si vous préférez, hydrographique, un sens mystérieux. Pour eux, c’est comme une espèce de dieu terme miraculeusement surgi des flots lequel vous barre la route et réclame hommage. Aussi, on ne passe pas outre, à moins d’être un kaza8ijaka, c’est-à-dire un libertin ou un mécréant. Comme toujours, la routinière tradition est venue prêter main forte à la superstition et celle-ci s’est tellement bien implantée dans l’esprit tourmenté de l’indien que même les robes noires n’ont pu l’en extirper.
Pourtant, le rocher n’affecte aucune forme symbolique ! Peut-être est-ce précisément pour cette raison que l’imagination de ces mystiques enfants des bois croit y distinguer confusément la forme indécise, les contours vagues d’un animal ou même d’un objet comportant une signification occulte qui concerne l’issue de l’entreprise projetée et qu’interprète religieusement l’homme de la circonstance, le sked8a8asino inspiré.
Selon qu’on le regarde d’aval ou d’amont, selon que sa masse se tapisse de givre, se couvre de neige ou se vêt de lichen, que le torrent impétueux bouillonnant à ses pieds l’asperge d’embrun qu’irise un rayon de soleil, ce sera un ours noir qui se désaltère dans le courant, un esturgeon qui de son dos fend l’onde écumante, un canot chaviré au milieu du rapide fougueux, un orignal au mufle poindant de la nappe liquide, etc.
mena’sen, le rocher au pin solitaire.Qu’importe l’image entrevue ! Cette fois, le présage est heureux
car déjà le sked8a8asino s’est élancé et a gravi le rocher où il entonne
un chant rauque. Les sauvages sautillant ou plutôt trépidant
comme sous l’empire de quelque frénésie hiératique tournent
autour du rocher en vociférant des répons gutturaux aux invocations
véhémentes que clame l’homme de médecine.
Chacun d’eux fait trois fois le tour du rocher dans un sens puis trois fois en sens inverse. C’est ainsi qu’il faut défaire, dénouer les trames tissues par les esprits du mal !
Puis, à tour de rôle, au milieu des incantations volubiles et avec des formules rituéliques élaborées, chaque sauvage va au brasier qui flambe, tout près, allumer le calumet de la guerre.