Balle de match
Il y a le contexte, celui d’une Australie aux prises avec l’une des progressions les plus stupéfiantes au monde d’infections à l’Omicron. Les hôpitaux sont débordés, les supermarchés se vident, une partie considérable de la main-d’œuvre est clouée au lit. Tout cela, alors que les Australiens, en bons soldats, sont doublement vaccinés à hauteur de 90 % et que le gouvernement du premier ministre Scott Morrison a bouclé les frontières du pays pendant un an et demi, ne les rouvrant que partiellement à partir de novembre dernier. Un contexte qui n’est pas, du reste, exclusivement australien.
Débarque donc jeudi dernier à l’aéroport de Melbourne Novak Djokovic, numéro un mondial de tennis, pour participer à l’Open d’Australie à compter de lundi prochain. Il est non vacciné, mais dûment armé d’une exemption de vaccination contre la COVID-19 en raison d’un test positif daté du 16 décembre dernier. Les douaniers jugent les documents irrecevables, annulent le visa d’entrée de « Djoko » et l’envoient dans un centre de rétention. S’ensuit un imbroglio qui n’en finit plus de finir.
Son visa n’était pas sitôt annulé que le premier ministre australien, Scott Morrison, sautait sur Twitter pour marteler que « personne n’est au-dessus de la loi ». Tout juste. Pour avoir fait ses choux gras pendant sa carrière d’une politique migratoire musclée et non content de diaboliser l’athlète pour ne pas s’être fait vacciner, M. Morrison (Parti libéral, centre droit) a voulu marquer des points politiques en vue des élections générales de mai prochain.
Sauf que cette affaire, qui est vite devenue un spectacle, ne se résume pas seulement pour les Australiens à caricaturer Djokovic en méchant antivax. Ou à le surnommer Novax Djocovid. L’affaire a aussi été une affaire de confusion bureaucratique. M. Morrison est par ailleurs un politicien en perte de crédibilité. Pour certains, la façon dont il s’en est pris au joueur de tennis a moins illustré sa compétence que son opportunisme. Les électeurs jugeront.
Pour l’heure, c’est avant tout Djokovic qui a des problèmes de crédibilité. Qui sont allés croissant depuis une semaine. Certes, son avis d’expulsion a été renversé lundi matin par un juge qui a estimé que les autorités douanières l’avaient traité de façon « manifestement injuste » et inadéquate. Mais cela atteste moins la bonne foi dont il se réclame que le fait qu’il a de bons avocats. Et du fait qu’il a des sous, autrement plus qu’en a la trentaine de réfugiés qu’il a dû côtoyer pendant quatre jours, le pauvre, dans un hôtel miteux tenant lieu de centre de rétention. Ce sont des demandeurs du statut de réfugiés, oubliés par le système de justice, qui croupissent souvent là depuis des années, sans recours. Au moins deux d’entre eux s’y trouvent depuis neuf ans… Qu’attend donc Djokovic pour mettre ses avocats à leur service ?
Dans cette affaire, le tennisman aura au moins servi, par accident, à éclairer des politiques migratoires (refoulement manu militari des migrants, détention obligatoire…) que Human Rights Watch a jugées « inhumaines ». Comme dans bien d’autres pays, démocratiques ou autoritaires, la pandémie a servi de prétexte à un durcissement de ces politiques.
Jouera ou ne jouera pas à l’Open d’Australie ? Le gouvernement se réserve toujours le droit d’expulser Djoko sur décision ministérielle. Or, plus le temps passe et plus il appert que, dans cette histoire, le tennisman n’est pas des plus nets, non plus d’ailleurs que la Fédération australienne de tennis qui a, de toute évidence, fait des pieds et des mains pour le faire venir, s’agissant de sauver le prestige du tournoi en l’absence de Roger Federer, qui se remet d’une opération à un genou. On savait déjà qu’ayant reçu un résultat positif le 16 décembre à Belgrade à un test PCR, il avait rencontré le lendemain, entre autres activités, de jeunes joueurs de tennis, sans même porter un masque. Il a aggravé sa cause mercredi en admettant, entre autres « erreurs humaines », avoir indiqué dans le formulaire d’entrée en Australie ne pas avoir voyagé dans les 14 jours précédant son arrivée, alors que c’est faux.
Erreur humaine ou négligence intéressée ? C’est une chose de refuser le vaccin, c’en est une autre de ne pas prendre les précautions sanitaires les plus élémentaires pour se protéger et protéger les autres. C’est d’autant plus choquant, en l’occurrence, qu’à titre de personnalité publique, M. Djokovic, qu’il le veuille ou non, a des responsabilités sociales. Le sport n’est pas neutre. Il y a une certaine tendance parmi les athlètes de haut niveau à finir par penser, en effet, qu’ils sont au-dessus de tout, trop habitués qu’ils sont « à voir le monde tourner autour d’eux », pour reprendre les propos tenus au Devoir par l’ancien champion olympique Jean-Luc Brassard. La question va encore se poser à Pékin, le mois prochain. Et continuera de se poser pour Djokovic, puisque la pandémie ne disparaîtra pas comme par miracle et que l’Open d’Australie n’est que le premier tournoi du Grand Chelem.
Ce texte fait partie de notre section Opinion. Il s’agit d’un éditorial et, à ce titre, il reflète les valeurs et la position du Devoir telles que définies par son directeur en collégialité avec l’équipe éditoriale.