Accueil > Travaux en commission > Commission de la d�fense nationale et des forces arm�es > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission de la d�fense nationale et des forces arm�es

Mercredi 16 avril 2014

S�ance de 9�heures

Compte rendu n��43

Pr�sidence de Mme�Patricia Adam, pr�sidente

—�Audition de l’amiral Bernard Rogel, chef d’�tat-major de la marine, et de l’amiral Charles-�douard de Coriolis, commandant des forces sous-marines et de la force oc�anique strat�gique, sur la dissuasion nucl�aire

La s�ance est ouverte � neuf heures.

Mme la pr�sidente Patricia Adam. Messieurs les amiraux, mes chers coll�gues, je suis heureuse d’accueillir l’amiral Bernard Rogel, chef d’�tat-major de la marine, et l’amiral Charles-�douard de Coriolis, commandant des forces sous-marines et de la force oc�anique strat�gique (FOST).

Hier apr�s-midi, nous avons entendu les g�n�raux Mercier et Charaix au sujet de la composante a�roport�e. Nous poursuivons donc notre cycle d’entretiens sur la dissuasion nucl�aire, votre audition portant principalement sur la composante oc�anique, de loin la plus importante, tant en puissance que du point de vue financier. Je rappelle toutefois que la marine nationale met aussi en œuvre une partie de la composante a�roport�e, gr�ce � son aviation embarqu�e.

Amiral Bernard Rogel, chef d’�tat-major de la marine. Je suis heureux que vous m’ayez invit� � partager mes r�flexions et mes convictions concernant la dissuasion. J’ai pass� une grande partie de ma carri�re en sous-marin avec quelque 27�000�heures de plong�e � mon actif, ce qui repr�sente environ 3�ans et demi sous la mer. Ce n’est pas un m�tier que l’on exerce � la l�g�re, car y est attach�e une responsabilit� impressionnante, celle de mettre en œuvre, le cas �ch�ant et je l’esp�re jamais, l’outil de dissuasion sur ordre direct du pr�sident de la R�publique. Dans ce type de fonctions, il ne se passe pas un jour sans que l’on se pose la question fondamentale�: pourquoi suis-je l�, qu’est-ce que mon pays attend de moi�?

Sur la dissuasion plus que sur tout autre sujet, la question ne saurait �tre la d�fense de tel ou tel p�rim�tre ou la r�orientation h�tive de telle ou telle politique au gr� de modes ou des int�r�ts particuliers. La question essentielle est celle de la place de notre pays et de ce que celui-ci entend faire de son outil de dissuasion.

C’est la raison pour laquelle je souhaiterais revenir sur un ensemble de d�clarations abruptes que l’on entend parfois. La premi�re est que ��le monde a changé », et que la dissuasion n’a plus de raison d’�tre depuis la fin de la Guerre froide durant laquelle elle avait �t� con�ue. Je voudrais donc vous exposer ma vision des enjeux de d�fense actuels en tant qu’expert du monde maritime, avec un tour d’horizon des puissances nucl�aires et de leur composante maritime en particulier. Je n’aborderai pas les cas am�ricain et britannique qui font l’objet d’une documentation abondante. Je me contenterai de rappeler pour m�moire que les Am�ricains poss�dent 14�sous-marins nucl�aires lanceurs d’engins (SNLE), et les Britanniques quatre.

Commen�ons par la Russie. Le budget de la d�fense russe va passer de 48 � 79�milliards d’euros en quatre�ans, les forces nucl�aires faisant tr�s clairement partie des priorit�s. Cette priorit� n’est pas nouvelle. Cependant, elle atteint aujourd’hui un stade de maturit� in�gal� depuis la fin de la Guerre froide. Ainsi, le programme de nouveaux SNLE de la classe Bore�, lanc� � la fin des ann�es 80, a vu son d�but d’aboutissement avec la mise en service du premier de la s�rie en 2012. Il en est pr�vu huit. Ils seront �quip�s de nouveaux missiles, qui ont d�j� fait l’objet de 19�tirs d’essais avec, il faut le signaler, de nombreuses difficult�s.

Pour assurer la protection de ces SNLE, la Russie a lanc� en parall�le le renouvellement de sa composante de sous-marins nucl�aires d’attaque (SNA) avec la classe Yasen. Ces sous-marins sont cr�dit�s de performances proches de celles des meilleurs sous-marins occidentaux et la Russie a pr�vu d’en acqu�rir 12.

Enfin, pour accueillir cette flotte, elle a modernis� et adapt� ses bases sous-marines dont celle de Ribachy situ�e au sud-est de la presqu’�le du Kamtchaka, qui est le seul port de sa fa�ade orientale offrant un acc�s direct aux grands fonds de l’Oc�an Pacifique. Cette op�ration d’infrastructure peut �tre compar�e aux travaux d’adaptation de l’�le Longue pour accueillir le missile M51, mais � une �chelle sup�rieure �tant donn� le nombre de sous-marins qu’elle doit pouvoir accueillir, soit environ dix contre trois pour l’�le Longue.

Cette longue description montre deux choses. La premi�re, c’est la d�termination sans faille depuis de longues ann�es de la Russie � r�acqu�rir une puissance de dissuasion cr�dible et puissante, malgr� les difficult�s �conomiques que le pays a connues apr�s l’effondrement de l’Union sovi�tique. La seconde, c’est la difficult� que repr�sente la remont�e en puissance d’une force de dissuasion cr�dible si on la met en sommeil ou sous cocon.

J’en viens � la Chine. Pendant longtemps, la Chine a �t� consid�r�e comme un acteur r�gional, sans capacit� oc�anique. Il faut nous pr�parer � r�viser ce jugement, et assez rapidement. La marine chinoise est �quip�e d’un SNLE de type Xia depuis le d�but des ann�es�80, mais on estime que celui-ci n’a jamais effectu� de patrouille. En revanche, depuis 2007, elle s’�quipe de cinq�SNLE de type Jin. Pour �valuer les capacit�s op�rationnelles d’un SNLE, en particulier l’aptitude � patrouiller, on s’appuie sur les capacit�s des SNA, en g�n�ral plus faciles � observer. Or, si la valeur op�rationnelle de la premi�re g�n�ration de SNA, qui date des ann�es 80, �tait jug�e tr�s faible, il en va tout autrement des tous r�cents SNA de type Shang qui sont cr�dit�s d’un remarquable niveau de discr�tion acoustique. En particulier, un de ces SNA vient de r�aliser un d�ploiement de longue dur�e – 70�jours – en oc�an Indien, ce qui constitue probablement une premi�re.

On peut donc raisonnablement en d�duire que les SNLE de type Jin, qui sont de la m�me g�n�ration et utilisent probablement la m�me technologie que les SNA de type Shang, en sont aussi capables. On estime que les SNLE chinois commenceront leurs premi�res patrouilles d’ici la fin de cette ann�e ou l’ann�e prochaine.

Dans le domaine balistique, la Chine poss�de d�j� des missiles intercontinentaux, mais ceux-ci sont en silo � terre et pr�sentent donc une certaine vuln�rabilit�. Aussi ont-ils entrepris de d�velopper des missiles de m�me port�e, � combustible solide, et surtout mobiles, pour pouvoir les diss�miner et les dissimuler sur l’immensit� de leur territoire. Une version navalis�e de ce missile – le JL�2 – a �t� d�velopp�e pour �quiper les SNLE de type Jin.

Enfin, la Chine a r�cemment achev� la construction d’une gigantesque base sous-marine enterr�e au sud de l’�le de Ha�nan et susceptible de pouvoir accueillir une vingtaine de sous-marins.

Quelques mots sur l’Inde, enfin. Elle suit le m�me mouvement, avec un peu de retard. Toutefois, elle est parvenue � construire son premier SNLE, de type Aryhant, qui commencera ses essais � la mer en fin d’ann�e. Elle a aussi r�ussi le premier tir d’un missile balistique � partir d’une plateforme sous-marine. Dans les 30�ans � venir, elle est donc en passe d’acqu�rir toutes les capacit�s pour d�velopper une flotte strat�gique oc�anique.

Je m’arr�te l� sur l’illustration du reste du monde. N’ayons aucun doute�: dans 20�ans, nous serons toujours dans un monde nucl�aire, sans diminution notable du nombre d’acteurs. La question n’est donc pas de savoir si des armes nucl�aires existeront toujours � cet horizon, mais plut�t de savoir si le nombre d’acteurs aura encore augment� ou pas.

Alors oui, le monde a chang�. La Guerre froide telle qu’on la connaissait appartient au pass�. Certains parlent de ��paix froide��. Mais cette paix froide est-elle plus s�re que la Guerre froide�? Quelle sera la prochaine surprise strat�gique�?

En r�alit�, il me semble qu’il y a aujourd’hui une tendance � agir au jour le jour, au d�triment d’une prospective qui int�gre les tendances lourdes. Il faut que notre r�flexion ne se limite pas aux quelques ann�es qui sont devant nous, mais bien aux quelques d�cennies � venir. Car telle est bien l’�chelle de temps de la construction humaine et mat�rielle d’un outil de dissuasion.

Deuxi�mement assertion, j’entends dire que notre dissuasion n’a pas �volu� depuis la Guerre froide.

Rappelons-nous tout de m�me les �volutions suivantes, men�es toujours dans l’esprit de stricte suffisance qui caract�rise la strat�gie de dissuasion en France�: le passage de six�SNLE � cinq en 1991, puis � quatre en 1997�; la diminution de la permanence de trois � deux en 1992, puis de deux � ��au moins un�� en 1997�; la r�duction de trois � deux�escadrons de forces a�riennes strat�giques en 2010�; et la suppression progressive de la composante terrestre – 1993 pour les Pluton et 1996 pour le plateau d’Albion.

Cela s’est traduit par une r�duction parall�le des budgets allou�s � la dissuasion dont la part dans le budget de d�fense a �t� r�duite presque de moiti�, et d’un tiers pour la part �quipement. Par ailleurs, signataire du trait� d’interdiction compl�te des essais, la France a d�mantel� ses installations d’essai et de production de mati�re fissile. Elle est d’ailleurs � ma connaissance la seule puissance nucl�aire � l’avoir fait.

Cela s’est accompagn� de l’�volution r�guli�re du concept, �nonc� par les discours r�guliers des pr�sidents de la R�publique, lesquelles �volutions se traduisent tr�s concr�tement par des modifications de sp�cifications techniques des nouveaux mat�riels mis en service.

Nous sommes et nous nous maintenons au seuil de stricte suffisance, ce qui fait de nous de bons �l�ves, en tout cas avec quelques arguments � faire valoir, dans les conf�rences du trait� de non-prolif�ration (TNP). Notre concept s’est constamment adapt� � l’environnement international.

Sans vouloir �tablir de relation directe entre la dissuasion et la situation actuelle en Ukraine, il est tr�s clair que cette crise va poser de nombreuses questions qui n�cessiteront des r�ponses adapt�es, notamment sur la balance Europe-Asie de nos Alli�s am�ricains, mais aussi sur les garanties n�gatives de s�curit�. Je rappelle en effet que les �tats dot�s de l’arme nucl�aire avaient sign� une d�claration garantissant l’int�grit� du territoire ukrainien en �change de la renonciation du pays aux armes nucl�aires � la chute de l’Empire sovi�tique. La crise ukrainienne devra donc faire l’objet d’une r�flexion approfondie quant � ses cons�quences, en particulier sur le TNP.

Troisi�mement, j’entends souvent opposer les forces conventionnelles aux forces nucl�aires. Monsieur Tertrais vous a donn� son avis sur ce point. J’y souscris et je voudrais le compl�ter de mon avis d’expert en tant que chef d’�tat-major de la marine.

Pour ce qui concerne la marine, la dissuasion tire toutes les composantes vers le haut�: les sp�cifications et l’entra�nement des �quipages des SNA, des fr�gates fortement arm�es, des chasseurs de mine, des avions de patrouille maritime, des h�licopt�res embarqu�s. Or, selon le principe de mutualisation depuis longtemps appliqu�, tous ces outils sont utilis�s �galement pour d’autres missions conventionnelles – le cas des Atlantique�2 est aujourd’hui symbolique en Afrique – mais c’est bien la dissuasion qui en justifie l’usage premier.

Ce raisonnement s’applique �galement pour la composante a�rienne, comme a d� vous l’exposer le chef d’�tat-major de l’arm�e de l’air le g�n�ral Mercier. Je crois donc n�cessaire de tordre le cou � une fausse bonne id�e�: je suis persuad� que supprimer la dissuasion nucl�aire ne permettrait pas d’abonder les cr�dits des forces conventionnelles. Au contraire, c’est l’inverse qui se produirait, pour les raisons que je viens d’�voquer�!

J’en viens maintenant � la dissuasion elle-m�me, telle qu’elle est vue par les marins.

En r�alit�, de quoi parlons-nous�? Nous parlons de la protection de nos int�r�ts vitaux. Nous parlons de la pr�servation de l’int�grit� physique de notre pays et de la protection de nos concitoyens. Nous parlons de la s�curit� ultime de la Nation et de l’ind�pendance de d�cision de notre pays.

Inversement, nous ne parlons pas de r�ponse au terrorisme, qui ne menace pas les int�r�ts vitaux de la Nation, nous ne parlons pas d’op�rations humanitaires, nous ne parlons pas de projection de puissance. Je crois que l’erreur qui est commun�ment faite aujourd’hui est que beaucoup se focalisent sur la menace du moment. Mais c’est oublier que l’apparition d’une nouvelle menace ne fait pas dispara�tre les autres. C’est comme si on pensait que le vaccin contre la grippe faisait dispara�tre la n�cessit� d’un vaccin contre la variole.

La dissuasion est une strat�gie politique avant d’�tre un outil militaire. Sa cr�dibilit� passe donc d’abord par un discours politique clair et compr�hensible de ceux � qui s’adresse ce discours. Ce n’est �videmment pas mon domaine de responsabilit� et je me contenterai de d�crire comment la marine d�cline ce discours.

Le chef d’�tat-major de la marine est responsable devant l’autorit� politique de s’assurer que l’outil de dissuasion est en ordre de bataille et que si l’ordre d’engagement nous parvient, nous serons en mesure de l’appliquer avec succ�s. Il ne s’agit pas de s’entra�ner � �tre pr�t, il s’agit d’�tre pr�t en permanence � r�pondre aux ordres du chef de l’�tat.

Le fondement de la dissuasion, qui est, encore une fois, une strat�gie et non un moyen, c’est donc bien la cr�dibilit�, c’est-�-dire l’intime conviction, chez l’adversaire, qu’une menace inacceptable p�serait sur lui s’il voulait s’en prendre � nos int�r�ts vitaux. La dissuasion, par d�finition, doit �tre cr�dible. Si elle ne l’est pas, elle ne dissuade rien.

Cette cr�dibilit� passe, du point de vue pratique, par certaines dispositions. Tout d’abord, par des �quipements � la fois fiables et invuln�rables, aussi bien les porteurs que les armes. C’est ainsi que sont con�us et modernis�s nos sous-marins, ind�tectables de par leur discr�tion, et nos missiles et les t�tes qu’ils emportent afin d’�tre certain qu’ils puissent assurer leur mission. Ensuite, par l’efficacit� de la cha�ne de commandement et la garantie de transmission de l’ordre pr�sidentiel. Enfin, elle repose sur un tr�s haut niveau d’expertise et une ind�pendance industrielle, fruit d’un long processus d’excellence que beaucoup de pays nous envient.

Mais, au-del� de la fiabilit� technique, c’est bien sur des hommes, et bient�t des femmes, que repose la cr�dibilit� de l’ensemble. Elle repose d’abord sur leur capacit� technique � patrouiller, bien s�r, c’est-�-dire leur s�lection, leur formation, puis leur exp�rience � la mer. En la mati�re, nous sommes en flux tr�s tendu, la taille de la composante �tant d’ores et d�j� sous-critique pour que le flux de recrutement se fasse naturellement. Nous sommes contraints de recourir � une recherche individualis�e pour faire venir les volontaires et les convaincre de suivre les formations difficiles et exigeantes requises.

Elle d�pend �galement de leur volont� de se plier au sacrifice d’�tre totalement coup� du monde et de leurs familles pendant plusieurs semaines. Je veux � cet �gard vous raconter une petite anecdote. J’�tais le commandant du SNLE en patrouille le 11�septembre�2001. L’un des premiers messages re�us m’indiquait en substance�:���5�000�morts�; les �tats-Unis se d�clarent en guerre��. Nous �tions � mi-patrouille et pendant 30�jours je n’ai rien dit � l’�quipage. En effet, d’une part, j’ignorais si parmi les victimes figuraient des parents de mes marins et, d’autre part, je ne souhaitais pas qu’une telle nouvelle trouble notre mission.

Enfin et surtout, les membres d’�quipage d’un SNLE se caract�risent par leur ob�issance consentie � mettre en œuvre, sur d�cision du pr�sident de la R�publique, cette arme terrifiante. Je l’�voquais s’agissant du commandant, mais c’est aussi valable pour l’�quipage.

Ces hommes ont donc besoin de deux choses. En premier lieu d’une priorit� politique et d’une d�termination clairement affich�e, ce que les pr�sidents successifs n’ont jamais manqu� pas de faire. C’est essentiel�! Encore une fois, pour l’avoir v�cu, cette d�termination politique est bien la colonne vert�brale de notre dispositif. C’est ce que le chef de l’�tat a r�affirm� en embarquant sur le Terrible en juillet 2012. Ils ont �galement besoin d’une certaine reconnaissance de la Nation, rendue d’autant plus difficile que leur travail est secret.

Ainsi, c’est parce qu’on leur dit que leur mission est essentielle que les �quipages sont pr�ts. Et c’est bien la d�termination sans faille de notre pays qui a permis cet effort continu, dans le temps, de tous les acteurs. Ce r�sultat remarquable ne peut �tre obtenu sans un investissement sans r�serve de tous les �chelons, du plus petit au plus �lev�, qui tous trouvent leur engagement commun dans la d�termination du chef de l’�tat.

En cela, la permanence � la mer est essentielle, parce qu’elle r�pond au concept qui est de faire peser une menace sur un adversaire �ventuel � tout moment et en tout lieu. Elle fonde la cr�dibilit� du dispositif vis-�-vis de l’adversaire, tant du point de vue de nos capacit�s techniques que de notre d�termination. Si le r�le de la dissuasion est de faire peur, on n’y parviendra pas avec un sous-marin dont la position est parfaitement connue � quai et, de ce fait, vuln�rable. C’est la dilution dans les oc�ans qui permet de garantir la menace d’une frappe sur un adversaire potentiel.

La permanence � la mer fait partie du concept d’invuln�rabilit�, notamment face � une surprise strat�gique, et donc garantit la capacit� de frappe en second�: quoi qu’il puisse arriver, nous sommes en mesure de r�pondre. Et il me semble que notre histoire nous a servi un certain nombre de surprises strat�giques… Si cette permanence n’�tait plus assur�e et que, en cas de menace directe, nous devions faire appareiller un SNLE de l’�le Longue, la s�ret� de cet appareillage n�cessiterait des moyens bien sup�rieurs � ceux que la LPM pr�voit�!

Cette permanence permet �galement de conserver notre libert� d’action du point de vue politique. En effet, en l’absence de permanence, un appareillage impromptu de SNLE pendant une crise pourrait �tre interpr�t� comme un signal strat�gique qui pourrait parasiter le message politique et qui pourrait amener un adversaire potentiel � tenter de neutraliser notre outil.

Elle prot�ge l’�quipage de toute influence ext�rieure et le place dans les conditions psychologiques pour la mise en œuvre de l’outil.

Elle garantit �galement la cr�dibilit� vis-�-vis de l’outil industriel en fixant un niveau d’exigence qui ne tol�re aucune impasse, tout comme les moyens de soutien.

Elle fixe un seuil d’excellence op�rationnelle et soutient la cr�dibilit� de la mission en interne, parmi la population des sous-mariniers.

En d’autres termes, la permanence � la mer est un �l�ment cl� de la cr�dibilit� de notre dissuasion. C’est bien le concept qui impose la posture et non pas la posture qui dicte le concept�!

Je voudrais dire un mot sur la composante a�roport�e, que l’on oppose souvent � la composante oc�anique. En r�alit� les deux composantes sont compl�mentaires et nous avons besoin de l’une comme de l’autre. La composante oc�anique est, je l’ai dit, l’assurance de la r�ponse de tout temps et d’o� que vienne la menace, quelle que soit l’attaque port�e sur nos int�r�ts vitaux. La composante a�rienne, au-del� de sa participation � la planification op�rationnelle, c’est la d�monstrativit� politique.

Disposer de deux composantes, c’est aussi avoir l’assurance que si l’une d’entre elles, pour des raisons diverses venait � �tre neutralis�e, l’autre serait � m�me de remplir une partie de la mission. Je suis intimement convaincu que, dans l’acception du concept actuel, ces deux composantes sont essentielles � notre s�curit�.

Voil�, madame la pr�sidente, mesdames et messieurs les d�put�s, quelques �l�ments issus de mon exp�rience de terrain et de mes r�flexions d’expert. Je crois en r�alit� que les questions � se poser ne sont pas techniques ni militaires. Les questions � se poser, dont la r�ponse est d’ordre politique et qui donc, par construction, n’est pas de mon ressort, sont les suivantes. Dans un monde qui est et restera nucl�aire, la France veut-elle rester une puissance mondiale, c’est-�-dire dont les responsabilit�s se situent � l’�chelle mondiale et sur laquelle on ne peut faire peser aucune forme de chantage�? La France veut-elle avoir une voix ind�pendante, c’est-�-dire ne d�pendant de personne pour d�fendre ses int�r�ts vitaux ou prot�ger ses int�r�ts et ses valeurs�? Jusqu’� quel niveau ne pas descendre dans la stricte suffisance pour que la dissuasion reste cr�dible�? C’est bien � vous, et non � moi, qu’il appartient de donner les r�ponses � ces trois interrogations.

Amiral Charles-�douard de Coriolis, commandant des forces sous-marines et de la force oc�anique strat�gique. La permanence de la dissuasion nucl�aire est le moteur principal de la motivation de nos �quipages. Nous assurons cette permanence depuis 1972, soit plus de quarante ans sans discontinuer�: 471 patrouilles ont �t� effectu�es et seulement 15 ont �t� interrompues, une heure ou deux, pour proc�der � des �vacuations sanitaires.

Sa mission principale est de fournir une capacit� de frappe en second, c’est-�-dire en r�plique � une frappe massive sur le territoire fran�ais par exemple. Cette capacit� de frappe en second lui est conf�r�e par la permanence � la mer et l’invuln�rabilit� de ses sous-marins. Ceux-ci sont capables d’infliger des dommages inacceptables � un adversaire �ventuel�: chaque sous-marin est capable de transporter jusqu’� 96 t�tes nucl�aires de 100�kilotonnes chacune, � comparer aux 20�kilotonnes d’Hiroshima et Nagasaki.

Depuis 2001, la dissuasion s’est adapt�e au contexte g�ostrat�gique et cible les centres de pouvoir et non plus des populations en tant que telles. La force oc�anique peut �galement �tre employ�e dans le cadre d’un avertissement nucl�aire.

Toutes ces nouvelles dispositions offrent d�sormais au pr�sident de la R�publique la bo�te � outils dont il a besoin. Il y a un lien direct entre le chef de l’�tat et le commandant du sous-marin. Cette cha�ne de mise en œuvre est tout � fait fondamentale.

Tous les moyens de renseignement des arm�es convergent vers les sous-marins nucl�aires. Je transmets ainsi aux sous-marins le meilleur renseignement possible, qu’il vienne de nos forces ou de l’OTAN.

Notre r�seau des transmissions nucl�aires est l’unique r�seau en France r�sistant � l’impulsion �lectro-magn�tique nucl�aire.

La cr�dibilit� technique et op�rationnelle repose sur la coh�rence des moyens d�di�s � la dissuasion�: ses deux composantes, les transmissions nucl�aires, les moyens conventionnels n�cessaires � sa protection et � son fonctionnement, les programmes consacr�s � son renouvellement ou � son entretien.

J’ai l’habitude de dire � mes �quipages que le pr�sident utilise tous les jours la dissuasion, m�me s’il ne l’emploie pas.

Pour compl�ter les propos du chef d’�tat-major sur la permanence � la mer, je voudrais pr�ciser que celle-ci ne signifie pas tenir en permanence un stade d’alerte �lev�. Ce stade d’alerte est modulable par le pr�sident de la R�publique et peut aller de quelques jours � quelques heures. Aujourd’hui un SNLE est ainsi en permanence � la mer, un deuxi�me est � la mer ou susceptible d’y �tre sous faible pr�avis, un troisi�me pouvant �galement participer � la posture mais avec un d�lai plus long. C’est cette permanence � la mer qui a d�termin� notre format de quatre sous-marins minimum, nombre qui a �t� �galement retenu par les Britanniques.

Je vais dire quelques mots sur l’invuln�rabilit� de nos SNLE. Pour la pr�server, nous sommes attentifs � l’�volution des techniques.

La discr�tion de nos sous-marins comprend � la fois la furtivit� et le durcissement dans les domaines acoustiques et non acoustiques. Nous travaillons aussi sur la dilution, � savoir la mobilit�, capacit� � naviguer � une vitesse �lev�e pendant longtemps, et la dispersion, c’est-�-dire dans une grande zone de d�ploiement. Je tiens � saluer � cette occasion le service de sant� des arm�es qui, en nous fournissant un m�decin et deux infirmiers, capables de pratiquer des interventions sous anesth�sie g�n�rale, nous donne la possibilit� d’assurer cette permanence � la mer.

Le service hydrographique de la marine (SHOM) nous rend aussi de grands services gr�ce � son travail de relev�s des fonds marins. Si seule la connaissance de la tranche d’eau entre 0 et 30 m�tres est n�cessaire pour les b�timents de surface, la force sous-marine a besoin pour sa part d’une connaissance plus approfondie.

La particularit� de la vie en espace confin� est seulement partag�e avec la vie � bord des stations spatiales. Le personnel fait naturellement l’objet d’un suivi m�dical tout particulier. Gr�ce � l’Observatoire de surveillance des V�t�rans, nous savons, en quarante ans d’exp�rience et sur une population de 17�000 sous-mariniers, qu’il n’existe pas de pathologie particuli�re li�e � la navigation sur sous-marin nucl�aire.

L’entra�nement se fait aujourd’hui aux deux tiers sur simulateur et un tiers � la mer. Un cycle d’entra�nement sur SNLE dure dix mois avec six ou sept postes de manœuvre par cycle.

Nous avons besoin d’un soutien op�rationnel fort. Les forces nucl�aires disposent de l’environnement n�cessaire � leur mise en œuvre autonome et en s�ret�. Mais la protection des approches, � l’entr�e et � la sortie du goulet de Brest mobilise donc des moyens d’escorte importants.

Nos SNA participent � la cr�dibilit� de la dissuasion car ils sont en quelque sorte la vitrine de nos forces sous-marines aux yeux du monde. Leur activit� aussi bien en op�rations qu’en exercice t�moigne du niveau op�rationnel de l’ensemble des forces sous-marines. Leur disponibilit� participe au renforcement de la cr�dibilit� de notre dissuasion.

L’invuln�rabilit� des SNLE, gage de cr�dibilit� de la dissuasion, repose autant sur les performances mat�rielles que sur la qualit� des �quipages.

Mon principal d�fi est d’armer ces SNLE. Il faut avoir � l’esprit qu’un SNLE c’est la base spatiale de Kourou, en plong�e, propuls�e par une centrale nucl�aire�! Sont localis�es au m�me endroit trois technologies � haute complexit�. J’ai besoin d’experts. La marine les recrute, les s�lectionne, les forme ensuite en plusieurs �tapes�: �lectricien-m�canicien, atomicien. J’observe un niveau en math�matiques et en physique � l’entr�e qui d�cro�t et qui n�cessite une formation plus pouss�e de notre part. Sur un �quipage de 110 personnes, nous avons une vingtaine d’atomiciens. Chaque cas est unique et fait l’objet du plus grand suivi de notre part pour qu’il aille au bout du cursus. Chacun fait une carri�re de 17 � 19 ans, avec 20�000�heures de plong�e en moyenne avant de vouloir arr�ter de naviguer, � un moment o� la pression familiale est plus forte.

Je dois �galement composer avec une g�n�ration ��e-connect�e�� qui doit accepter de se d�connecter pendant les soixante-dix jours de sa mission. Il leur faut une motivation forte pour cela.

Le soutien technique ��m�tier�� pour des installations aussi complexes est �galement primordial. La propulsion nucl�aire navale est un joyau que nous sommes les seuls � d�tenir avec les �tats-Unis, la Russie et la Chine – le Royaume-Uni a achet� celle des Am�ricains. Le MCO permet d’assurer la disponibilit� des sous-marins et de maintenir la confiance des �quipages dans la s�ret� de leurs b�timents, ce qui est un facteur important de la p�rennit� des forces sous-marines.

Un petit mot sur la r�silience des infrastructures. Les infrastructures de l’�le Longue ont aujourd’hui plus de quarante ans et il faut leur donner encore quarante ans de vie, en les r�novant tout en continuant � assurer la posture.

Avant de conclure, je vais dire quelques mots sur la force a�ronavale nucl�aire (FANu). Avec les forces a�riennes strat�giques (FAS) de l’arm�e de l’air, elle constitue la seconde partie de la composante a�roport�e de la dissuasion. Concr�tement, il s’agit de disposer de la capacit� pour les Rafale F3 de l’a�ronautique navale � mettre en œuvre le missile air sol moyenne port�e am�lior� (ASMP-A), comme le fait l’arm�e de l’air, mais depuis le porte-avions Charles de Gaulle. La FANu b�n�ficie de l’ensemble des avantages offerts par l’outil porte-avions.

C’est une force non-permanente bien qu’activable � tout moment - en dehors des p�riodes d’indisponibilit� du porte-avions. Elle constitue une composante autonome, qui peut �tre mise en œuvre seule, sans compl�ment des moyens de la FOST ou des FAS. Les moyens humains et mat�riels de la FANu b�n�ficient d’une qualification op�rationnelle permanente et sont pr�lev�s sur le vivier organique ��conventionnel��. Ces moyens ne sont pas d�di�s. L’essentiel de l’entra�nement n�cessaire � la qualification op�rationnelle de la FANu est effectu� lors de missions conventionnelles -�vols tactiques, exercices de m�canisation � bord�- et ne n�cessite que tr�s peu de potentiel d�di�.

Elle b�n�ficie de la souplesse d’emploi ainsi que du caract�re ostentatoire qu’offre l’outil porte-avions�: exercice de la pression politique d�s l’appareillage du port-base ou durant le transit, capacit� de pr�positionnement ou de red�ploiement sans contrainte g�ographique et capacit� de d�monstration de force gradu�e.

M.�Yves Fromion. Nous appr�cions tous l’int�r�t de ce cycle d’auditions sur la dissuasion nucl�aire. En pr�ambule de ma question, je tiens � souligner que j’ai toujours �t� un ardent d�fenseur de celle-ci, et ce sans varier depuis mon entr�e � Saint-Cyr en 1961. Ce n’�tait d’ailleurs pas si ais� � l’�poque, beaucoup ironisant alors dans les arm�es sur la ��bombinette��. N�anmoins, je souhaite revenir sur le cas de la FANu, qui m�rite � mon sens de faire l’objet d’une investigation pouss�e et sans tabou. Elle n’est en effet ni permanente, en raison des p�riodes d’indisponibilit� du porte-avions, ni discr�te comme peut l’�tre la composante sous-marine. Au vu du co�t des am�nagements sp�cifiques du Charles de Gaulle, ne faut-il pas s’interroger sur l’opportunit� de son maintien�?

M.�Alain Chr�tien. Sans esprit de pol�mique ni aucun sexisme, je souhaite revenir sur la r�cente d�cision permettant aux personnels f�minins de servir dans les sous-marins, afin de conna�tre les motivations qui ont pouss� � revenir sur le ��dogme�� que constituait jusqu’� pr�sent � en faire une arme exclusivement masculine. Quels sont les changements dans la technologie ou le management des �quipages qui permettent d�sormais cette ouverture, inenvisageable il y a quelques ann�es�?

Amiral Bernard Rogel. La FANu ne peut pas �tre compar�e aux FAS car elle constitue bien entendu une force non permanente. Comme vous l’avez-vous-m�me relev�, la v�ritable question porte sur les am�nagements sp�cifiques du porte-avions destin�s � accueillir l’arme nucl�aire, puisque ni les avions ni les pilotes ne sont d�di�s � la mission nucl�aire et que les missiles sont partag�s avec l’arm�e de l’air. Lors du lancement du programme du porte-avions nucl�aire, les autorit�s politiques ont d�cid� de conserver cette capacit� nucl�aire a�ronavale. Pour ce qui concerne la permanence, je serais tent� de vous dire qu’un second porte-avions serait � m�me de r�gler la question... En tout �tat de cause, les travaux d’adaptation du porte-avions ont d�j� �t� r�alis�s.

S’agissant de la f�minisation, la question est � la fois simple et compliqu�e. Compliqu�e parce que l’exp�rience d’une longue patrouille de SNLE est une �cole d’humilit� impliquant d’apprendre � supporter les autres. Pour nous qui appartenons � la g�n�ration ayant navigu� sur des sous-marins aux conditions de vie tr�s rudes, en se lavant � peine pendant trois semaines et en se partageant des couchettes, il �tait �vident que la f�minisation n’�tait � l’�poque pas possible. Des femmes sont depuis longtemps embarqu�es sur les navires de surface, et 23 d’entre elles en ont assur� un commandement, mais le principe dans ce cas est celui de la s�paration compl�te des locaux sanitaires et de repos. Il en sera de m�me dans nos sous-marins. Enfin, de nombreuses �tudes ont �t� r�alis�es sur les effets �ventuels d’une atmosph�re confin�e sur la sant� des femmes, et il appara�t que la seule vuln�rabilit� particuli�re concerne les femmes enceintes. Il fallait donc disposer de sous-marins dont les locaux soient adapt�s et d’�tudes d’impact sur la sant�. Tel est d�sormais le cas, et c’est la raison pour laquelle le sous-marinier que je suis a pu prendre cette d�cision, que j’assume enti�rement. Je pense que le moment �tait venu, et je souligne que ce choix fait suite � des propositions des forces sous-marines elles-m�mes et repose sur un large consensus en leur sein.

Amiral Charles-�douard de Coriolis. Pour ma part, je n’ai aucun �tat d’�me s’agissant de cette f�minisation. Nous y travaillons depuis deux ans, notamment en liaison avec le service de sant� des arm�es et au travers d’�changes avec nos partenaires am�ricains et britanniques, qui suivent la m�me voie. Une action sp�cifique d’information sur le risque pr�cit� devra �tre organis�e pour les femmes embarquant sur les b�timents. Je rel�ve qu’aux �tats-Unis 40 % des �l�ves-ing�nieurs sont des femmes, contre environ 20 % en France, et qu’il n’y a aucune raison de se priver de cette ressource.

Mme la pr�sidente Patricia Adam. Lors d’un s�jour de deux jours dans un SNLE, j’avais pu avoir une conversation libre et franche avec les sous-mariniers, qui �taient tous favorables � cette f�minisation. Cela sera une chance pour celles qui seront s�lectionn�es et qui pourront ainsi apporter leurs comp�tences au service de notre flotte sous-marine.

M. Daniel Boisserie. Quel est le niveau de concertation voire de collaboration avec nos partenaires, notamment britanniques�? Par ailleurs, en cas d’�chec de la dissuasion et d’attaque nucl�aire contre nous, quel est notre niveau de protection�?

Mme Genevi�ve Gosselin-Fleury. Que pensez-vous du d�veloppement de la d�fense anti missiles de l’OTAN�? � long terme ne risque-t-il pas de remettre en question les deux composantes de la dissuasion fran�aise, notamment dans un contexte budg�taire contraint�?

Amiral Bernard Rogel. S’agissant des coop�rations, il convient au pr�alable de rappeler que la dissuasion est avant tout nationale et sert la d�fense des int�r�ts vitaux d’une nation. Si l’on devait s’orienter vers des patrouilles communes, il ne s’agirait pas d’une question militaire, mais bien d’une question fondamentalement politique supposant la d�finition pr�alable d’int�r�ts vitaux communs et de l’assurance que l’un agirait pour l’autre le cas �ch�ant. Le m�me probl�me se pose d’ailleurs en mati�re de d�fense europ�enne. Cela �tant, la situation actuelle n’emp�che pas les �changes techniques avec nos partenaires.

Amiral Charles-�douard de Coriolis. En termes de forces sous-marines, nous coop�rons principalement avec les Britanniques et les Am�ricains, mais aussi avec les nations dot�es de forces sous-marines, comme les Norv�giens, les Espagnols, les Italiens ou les Portugais. Il faut noter qu’avec les premiers, aucun �change n’est possible sur le nucl�aire�: tout ce qui rel�ve des missiles ou de la propulsion reste enti�rement ma�tris� par les Am�ricains et demeure tabou. En revanche, nous avons de nombreuses discussions sur la formation, sur la f�minisation, sur les processus d’entra�nement et sur les �v�nements, le retour d’exp�rience en la mati�re permettant de faire progresser la s�curit�. Nous avons ainsi pu b�n�ficier de l’analyse d’un accident mortel intervenu sur un sous-marin am�ricain en 2006. Je ne reviens pas sur la coop�ration avec les Britanniques en mati�re de simulation, qui rel�ve du CEA-DAM.

La poursuite de ces discussions est tr�s utile, car notre force sous-marine est somme toute r�duite, avec 2�400 personnes servant dix plateformes. Nous avons donc besoin de rep�res ext�rieurs et les �changes avec les Britanniques sont d’autant plus int�ressants que faisant face � des contraintes similaires aux n�tres, ils ont des approches parfois diff�rentes.

Amiral Bernard Rogel. Pour revenir � la question sur le niveau de protection, le concept m�me de dissuasion vise pr�cis�ment � d�courager les attaques. La protection est donc en quelque sorte comprise � la fois dans l’outil et le discours de dissuasion.

En ce qui concerne la d�fense antimissile, si cette voie �tait retenue il faudrait se poser la question du budget � y consacrer, lequel ne doit � mon sens pas venir en d�duction de nos ressources actuelles. La d�fense antimissile est destin�e � faire face � des missiles balistiques rudimentaires et il faudra toujours bien v�rifier son �tanch�it�. Elle ne pourra en effet sans doute jamais pr�tendre � une efficacit� totale et ne pourra de surcro�t pas faire face � tous les modes de d�livrance d’une arme nucl�aire. Il faut donc garder les id�es claires�: la dissuasion est destin�e � la protection des seuls int�r�ts vitaux�; c’est la raison pour laquelle la d�fense antimissile peut avoir une utilit� pour se prot�ger de menaces balistiques dont les effets limit�s ne justifieraient pas une riposte nucl�aire. Il reste cependant � mener une r�flexion s�rieuse sur les objectifs et le niveau technologique de cette d�fense antimissile, afin de veiller � ne pas s’�puiser dans une course aux armements d�mesur�e.

M.�Jean-Jacques Candelier. Les Britanniques ne disposent que d’une composante, les sous-marins nucl�aires �quip�s de missiles Trident beaucoup plus pr�cis et efficaces que nos missiles balistiques. Des missiles plus performants permettraient-ils de se passer de la composante a�roport�e, la composante a�ronavale �tant rattach�e au porte-avions Charles de Gaulle�?

M.�Gilbert Le Bris. Ce d�bat nous m�ne au cœur de la dissuasion, dont nous savons l’excellence, et nous conduit � examiner la pertinence de cette arme de non-emploi dont nous nous attachons � identifier les failles �ventuelles. Elle repose aujourd’hui sur un double postulat, la fiabilit� absolue du SNLE et celle du pr�sident de la R�publique, qui repose sur la clairvoyance, la d�termination et la volont�. Parmi les maillons faibles ne faut-il pas compter, d’une part, l’�le-Longue, qui pourrait souffrir de probl�mes de s�curit� relev�s par un journal local, et, d’autre part, compte tenu de l’�volution des technologies, la transmission de l’ordre entre les deux p�les de fiabilit� que sont le pr�sident de la R�publique et le SNLE�?

Amiral Charles-�douard de Coriolis. D’apr�s les informations que l’on peut avoir, le co�t de l’�quipement constitutif des missiles Trident II D5 permettant d’atteindre le niveau de pr�cision requis est comparable � lui seul � celui d’un missile M51�! Les Am�ricains disposent aujourd’hui de 336 de ces missiles dont le nombre va �tre r�duit � 240 en application du New Strategic Arms Reduction Treaty (New START) sign� avec la Russie. Depuis le lancement du programme, 160 missiles ont �t� tir�s, au rythme annuel de quatre missiles par salve de quatre. Il s’agit d’un programme de grande envergure, tr�s pr�cis, mais qui n’offre qu’une seule capacit� de p�n�tration des d�fenses de l’adversaire. Notre d�fense est, elle, organis�e autour des deux composantes, la p�n�tration a�robie par les missiles de croisi�re et la p�n�tration par les missiles balistiques, ce qui me semble d’une grande coh�rence et impose � l’agresseur potentiel de se pr�munir simultan�ment contre les deux types de menaces. Par ailleurs, les synergies r�sultant de l’adossement du programme M51 au programme Ariane 5 permettent de compenser en partie le faible volume de production de missiles et nous nous f�licitons de la grande mixit� et de la grande fluidit� des �changes entre le civil et le militaire, � telle enseigne que les �quipements s�quentiels et pyrotechniques sont identiques sur Ariane et sur nos missiles balistiques, tandis que leurs calculateurs de guidage et leurs centrales d’ordre b�n�ficient des m�mes technologies.

Amiral Bernard Rogel. Je r�fute le terme de ��non-emploi��. J’ai �t� sous-marinier et je vous assure avoir eu le sentiment d’�tre utile tous les jours et non d’avoir pass� du temps dans une station spatiale am�lior�e. Le concept m�me de la dissuasion est la capacit� d’une r�ponse imm�diate � une menace contre nos int�r�ts vitaux, quelles qu’en soient la provenance et la nature. Certes le principe de la dissuasion consiste � �viter l’emploi de l’arme elle-m�me, ce que nous souhaitons tous, mais c’est ce que feront nos �quipages si on leur en donne l’ordre et ils sont pr�ts en permanence pour cela. Pour r�pondre � M.�Le Bris, je n’ai aucun �tat d’�me quant � la fiabilit� du syst�me. En ce qui concerne les maillons faibles, si tout est �videmment perfectible, je laisse � la presse la responsabilit� de ses propos sur la s�curit� de l’�le-Longue et je vous invite � tenter de p�n�trer les installations sans autorisation et vous reviendrez, ou pas, me donner des nouvelles. Je vous rappelle �galement que le concept actuel de dissuasion repose sur les sous-marins � la mer, ce qui les rend invuln�rables, et non sur l’�le-Longue. Quant � la transmission de l’ordre de tir, elle est ��redond�e�� et je suis certain que, le cas �ch�ant, l’ordre transmis de l’�lys�e arrivera � bord des sous-marins en toutes circonstances.

M.�Philippe Vitel. Dans le cadre actuel de morosit� financi�re, la dissuasion fait des envieux et nombreux sont ceux qui souhaiteraient faire des �conomies sur son compte et lui tailler des croupi�res. Nous avons auditionn� hier le chef d’�tat-major de l’arm�e de l’air et le commandant des forces a�riennes strat�giques, dont certains propos pourraient laisser penser que la Force a�ronavale nucl�aire (FANu), composante a�roport�e de la dissuasion maritime et outil diplomatique majeur, serait une source d’�conomies. Un risque existe-t-il aujourd’hui quant � la p�rennisation de la FANu�?

M. Jacques Lamblin. Vous nous avez convaincus que la cr�dibilit� de la dissuasion reposait � la fois sur la permanence � la mer ainsi que sur la furtivit� et la dilution des b�timents dans les oc�ans. Qu’en est-il des perspectives et des progr�s technologiques en mati�re de protection contre la d�tection de ces plateformes�? Vous avez �voqu� des probl�mes en mati�re de recrutement des sous-mariniers li�s � la technicit� et � l’�volution des mentalit�s qui conduit � envisager un isolement de plusieurs semaines avec plus de difficult�. L’aspect financier joue-t-il un r�le et est-il une variable d’ajustement�?

Mme��milienne Poumirol. Mes questions sont li�es aux ressources humaines et notamment � la m�decine � bord des sous-marins. Arrive-t-il que des sous-mariniers soient bless�s et est-on capable de les traiter � bord�? La formation � ces postes de haute technicit� est pouss�e et la fid�lisation semble repr�senter un probl�me en raison des contraintes de la vie � bord, et notamment � l’�gard des contraintes d’isolement � l’heure des r�seaux sociaux et des appareils de communication personnels en ligne. Quelles sont les possibilit�s de reconversion civile pour ces personnels�?

M.�Fran�ois de Rugy. Je souhaite rebondir sur la question de Philippe Vitel et je souhaite que, dans le cadre des d�bats qui se d�roulent actuellement au sein de la commission, les militaires sachent bien qu’ils ne se posent pas dans les termes utilis�s et qu’il ne s’agit pas tailler des croupi�res � la force de dissuasion mais de tenir compte des contraintes budg�taires, s’imposant comme dans tous les secteurs de l’action de l’�tat, dont la s�curit� sociale et les collectivit�s locales. En mati�re de d�fense, le sujet est abord� diff�remment en raison du postulat de sanctuarisation budg�taire de la force de dissuasion, qu’il est de plus en plus difficile de justifier au regard des besoins op�rationnels des forces conventionnelles, ce qui est l’avis d’un certain nombre de militaires et surtout d’anciens militaires. Le g�n�ral Mercier a bien tent� hier de nous convaincre de l’absence d’effet d’�viction, sans succ�s selon moi, et je tiens � souligner que des d�put�s au sein de la commission soutiennent une approche concr�te et pragmatique en mati�re de pr�sence � la mer, d’essais, de simulation, de la force a�roport�e qui n’est pas la partie de la dissuasion la plus on�reuse.

Amiral Bernard Rogel. En r�ponse � la derni�re question, j’estime qu’il est bon que se tienne un d�bat sur le nucl�aire. Il s’agit d’un enjeu important pour notre pays auquel est apport�e une r�ponse politique, que les militaires ont la charge d’appliquer. Pour revenir au co�t de la dissuasion, �lev� il est vrai, je voudrais faire un calcul simpliste mais n�cessaire�: si l’on ram�ne le co�t annuel de l’agr�gat nucl�aire qui est de 3,5�milliards d’euros au nombre de notre population, le co�t de la dissuasion est de cinq�euros par mois et par Fran�ais. Est-ce trop cher pour notre s�curit�? C’est une donn�e que d’aucuns jugeront peut-�tre contestable mais qu’il convient de prendre en compte. Par ailleurs, les forces strat�giques de la marine comptent environ 2�000�personnes, ce qui correspond au nombre d’employ�s municipaux d’une commune de 100�000�habitants. L’appr�ciation politique de l’int�r�t de la dissuasion vous appartient. En ce qui concerne la sanctuarisation, il convient d’observer que la part du nucl�aire a beaucoup baiss� en application du principe de stricte suffisance.

La question des soins en mer est primordiale car une mission de 70 jours ne peut se d�rouler en toute s�r�nit� sans l’assurance d’�tre soign� le moment venu. Nous comptons � ce jour 83�interventions � bord, parfois multiples, sous anesth�sie g�n�rale, du syndrome de Meckel � l’appendicectomie. La contribution du Service de sant� des arm�es est � ce titre indispensable au bon d�roulement des patrouilles et � la confiance de l’�quipage.

En mati�re de ressources humaines, mon probl�me r�side aujourd’hui plus en la fid�lisation de mon personnel qu’en son d�part et sa reconversion. Comme l’a dit l’amiral de Coriolis, les sous-marins sont une base spatiale propuls�e par une centrale nucl�aire et aucun de ces deux secteurs n’est en crise dans le priv�, qui a beaucoup d’app�tence pour les sp�cialistes issus de la marine. Il convient donc de leur offrir des conditions de vie et r�mun�ration au moins �gales � ce qu’ils pourraient trouver dans le civil.

Je ne pense pas qu’il existe aujourd’hui de combat de p�rim�tre en ce qui concerne la FANu. Un porte-avions dot� de l’arme nucl�aire repr�sente une force d�monstrative hors du commun et il n’est que de voir combien sont observ�s en p�riode de crise, comme dans le cas de la Syrie, les moindres d�placements des b�timents, ne serait-ce que pour un exercice. Je rappelle que la FANu n’est pas une force permanente mais une force compl�mentaire qui ne poss�de ni armes, ni pilotes, ni avions d�di�s. La seule question qui se pose est l’adaptation du porte-avions � l’embarquement d’armes nucl�aires.

Amiral Charles-�douard de Coriolis. La d�tectabilit� est une pr�occupation permanente. Des progr�s tr�s importants ont �t� r�alis�s entre la g�n�ration du Redoutable, M4 compris, et celle des Triomphant au terme d’un programme de recherche et d�veloppement poursuivi aujourd’hui, dans le cadre de l’adaptation � l’�volution de la menace, par des �tudes amont portant sur les sous-marins d’attaque et la discr�tion, acoustique et non acoustique. Le sous-marin de troisi�me g�n�ration b�n�ficiera de dispositifs permettant de ma�triser ses rejets. Ces rejets seront soit r�duits par stockage � bord, soit transform�s pour assurer leur innocuit�. Les �tudes portent simultan�ment sur la discr�tion intrins�que et la capacit� de d�tection. Ainsi les objectifs de bruit rayonn� des sous-marins nucl�aires d’attaque ont consid�rablement diminu� tout en conservant l’allonge dans la d�tection, c’est-�-dire la capacit� de d�tecter avant de l’�tre. Le probl�me se pose diff�remment pour les SNLE. Le Triomphant p�se 14�000�tonnes et compte seize tubes lance-missiles, comme la g�n�ration pr�c�dente d’un poids de 9�000�tonnes, les 5�000�tonnes suppl�mentaires relevant de la discr�tion acoustique avec notamment des berceaux suspendus qui n�cessitent un diam�tre sup�rieur d’environ deux m�tres ou des berceaux machines de 600�tonnes pos�s sur des amortisseurs de type silent-block. Les recherches sur les sous-marins de troisi�me g�n�ration portent, par exemple, sous l’angle du rapport qualit�/co�t, sur les dispositifs de furtivit� et les mat�riaux an�cho�ques.

J’isole trois �l�ments en mati�re de fid�lisation du personnel�: la mission�; la formation, tr�s recherch�e par les entreprises civiles, qui savent ce que valent nos atomiciens, � telle enseigne que la direction du personnel de la marine, sous les ordres de l’amiral Rogel, a d� passer des conventions avec les acteurs civils pour �viter que nos personnels soient d�bauch�s pr�matur�ment�; et, en dernier lieu, les avantages financiers. Ils portent moins sur les primes, qui ont peu �volu� depuis vingt ans, que sur le calcul des annuit�s accord�es au nombre de trois pour une ann�e � la mer et repr�sente une incitation forte en mati�re de pension.

La formation est naturellement une pr�occupation constante, le d�fi �tant de l’adapter et de l’optimiser tout en assurant le nombre de paliers n�cessaires auquel veille scrupuleusement le d�l�gu� � la s�ret� nucl�aire de d�fense. L’aspect masse critique des ressources humaines est int�ressant�: si la FOST compte 2�400�personnes, elle ne comprend que 180�experts atomiciens�sur lesquels repose la s�curit� de mise en œuvre des sous-marins � la mer. Cela fonctionne dans le format actuel mais cela ne serait peut-�tre pas le cas demain si la partie entra�nement devait �tre r�duite.

Les blessures � bord sont de plusieurs natures, des fractures, des abc�s, des appendicites, des sympt�mes de Crohn difficiles � diagnostiquer mais nos m�decins sont de v�ritables urgentistes qui, � l’issue de leur affectation dans les forces sous- marines, s’ils ne demeurent pas dans la radio-protection, se dirigent souvent vers la chirurgie car ils sont � m�me de r�aliser des interventions tr�s diverses, leur contrat �tant de donner en toutes circonstances le temps n�cessaire au commandant avant de proc�der � une �vacuation sanitaire avec les moyens d’alerte de la marine.

*

* *

La s�ance est lev�e � dix�heures vingt-cinq.

*

* *

Membres pr�sents ou excus�s

Pr�sents. - Mme Patricia Adam, M. Fran�ois Andr�, M. Olivier Audibert Troin, M.�Nicolas Bays, M. Sylvain Berrios, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, Mme�Isabelle Bruneau, M. Jean-Jacques Candelier, M. Guy Chambefort, M. Alain Chr�tien, Mme Catherine Coutelle, M. Bernard Deflesselles, M. Guy Delcourt, Mme Marianne Dubois, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Genevi�ve Gosselin-Fleury, Mme Edith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, M. Laurent Kalinowski, M. Patrick Labaune, M. Marc Laffineur, M. Jacques Lamblin, M. Charles de La Verpilli�re, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Yves Le D�aut, M. Fr�d�ric Lefebvre, M. Christophe L�onard, M. Maurice Leroy, M. Philippe Meunier, M. Paul Molac, M. Alain Moyne-Bressand, M.�Philippe Nauche, Mme �milienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie R�calde, M.�Gwendal Rouillard, M. Alain Rousset, M. Fran�ois de Rugy, M. St�phane Saint-Andr�, M. Jean-Michel Villaum�, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin

Excus�s. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M.�Francis Hillmeyer, M. �ric Jalton, M. J�r�me Lambert, M. Bruno Le Roux, M. Damien Meslot, Mme Sylvie Pichot

Assistaient �galement � la r�union. - M. Dino Cinieri, M. Herv� Gaymard, M.�Jean-Fran�ois Lamour